Alors que les professionnels du secteur alertent depuis plusieurs mois sur une crise du logement en France, le gouvernement semble avoir eu une prise de conscience et a annoncé des premières solutions. Alors, plan de communication ou véritable volonté de faire bouger les choses ?
Un nombre de prêts accordés en baisse de 31,9% sur un an selon l’Observatoire Crédit logement CSA. Un taux de crédit moyen sur 20 ans qui atteint désormais 3,30% et des primo-accédants de plus en plus mis de côté. Des ventes en chute libre dans l’ancien (-15% en mars 2023 comparé à mars 2022, selon Meilleurs Agents) comme dans le neuf. Sans parler d’une tension du marché locatif en progression de 68% en moyenne entre 2021 et 2022 selon le site d’annonces immobilières Bien’Ici. Face à tous ces chiffres, une question se pose : La France est-elle en train de traverser une crise du logement ?
En présentant sa feuille de route pour les six prochains mois, le 26 avril dernier, la Première ministre Elisabeth Borne, a convenu que « parmi les inquiétudes les plus fortes de nos concitoyens, se trouve également le logement ».
Deux jours plus tard, sur le plateau de BFMTV, le ministre du Logement Olivier Klein n’a pas pris autant de pincettes pour nommer la situation actuelle, assurant que « depuis le mois de novembre, je parle de cette crise du logement, je parle de bombe sociale. » Et depuis plusieurs semaines, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire multiplie les annonces d’échanges avec le gouverneur de la Banque de France au sujet des difficultés d’accès au crédit immobilier.
« Parmi les inquiétudes les plus fortes de nos concitoyens, se trouve également le logement »
Alors que les professionnels du secteur de l’immobilier et du logement alertent depuis plusieurs mois le gouvernement sur les difficultés rencontrées, cette communication est vue comme une bonne nouvelle. « Cette prise de conscience ministérielle est un peu tardive, même si on peut se féliciter qu’elle ait lieu car elle est nécessaire. En même temps, il est difficile à ce stade de ne pas se rendre compte de la gravité de la situation, tant les problèmes s’accumulent », juge Henri Buzy-Cazaux, président de l’Institut du Management des Services Immobiliers et ex-conseiller de l’ancien ministre du logement Pierre Méhaignerie.
La hausse des taux fait mal au budget des ménages
Comment expliquer les problèmes rencontrés ? Le secteur de la transaction immobilière est aujourd’hui fortement impacté par la hausse des taux, qui ampute le budget des ménages souhaitant acheter. « En moyenne, 1 point de hausse de taux correspond à une perte de capacité d’emprunt de 10% », rappelle Pierre Chapon, co-fondateur du courtier Pretto.
Alors que les taux sont passés en un peu plus d’un an de 1% à 3,3% sur 20 ans, difficile pour les acheteurs de suivre. D’autant que la baisse des prix de l’immobilier, si elle est enclenchée, ne suit pas les mêmes proportions. À titre d’exemple, les prix des biens à Paris n’ont baissé que de 5,1% sur un an selon le site Meilleurs Agents.
Le marché de la location n’est pas en reste. En septembre dernier, le site Particulier à Particulier (PAP) pointait du doigt une augmentation de la demande locative, de l’ordre de +9% de candidats locataires par rapport à 2019. Et la tension est aujourd’hui très forte dans de nombreuses villes de France.
Selon Laëtitia Caron, directrice Générale de Particulier à Particulier (PAP), cette hausse s’explique en partie par l’impossibilité pour les emprunteurs les plus jeunes d’accéder à l’achat : « Habituellement, il y a un flux sur le marché locatif qui fait qu’aux alentours de la trentaine, quand les jeunes salariés commencent à être installés professionnellement, ils vont passer à l’action pour un premier achat immobilier. Aujourd’hui, il y a une partie de ces primo-accédants qui ne passent pas à l’action et donc qui ne lâchent pas leur location. » « Il y a un phénomène de report de la primo-accession vers la location, confirme Henry Buzy-Cazaux. Ceux qui n’arrivent pas à acheter viennent peser sur le marché locatif. »
Un prolongement du PTZ en 2024
L’ensemble de ces problèmes pèse sur le secteur de l’immobilier. Selon la Fédération française du bâtiment (FFB), 100 000 emplois seraient menacés dans le secteur d’ici 2025. Un risque qui inquiète en haut lieu, selon Henry buzy-Cazaux, pour qui « cette conséquence sur l’emploi, c’est ce qui peut faire bouger le ministre de l’Économie et la Première ministre. » Cette dernière a d’ailleurs déjà annoncé une mesure d’urgence pour la filière du neuf, avec le rachat par la Caisse des dépôts des logements neufs que les promoteurs peinent à vendre.
Quelles sont les autres solutions envisagées ? Olivier Klein s’est félicité il y a quelques jours du prolongement du Prêt à taux zéro (PTZ) en 2023, expliquant que « ça permet à nos concitoyens d’avoir une sorte d’apport. Pour l’acquisition, c’est un outil extrêmement utile, encore plus important en période où les taux d’intérêt sont hauts. »
Si aucun prolongement officiel n’a pour le moment été annoncé, l’entourage de la Première ministre Elisabeth Borne a annoncé que le PTZ serait prolongé au moins jusqu’à fin 2024. Sous quelle forme ? « On est en train de travailler pour voir la manière dont il sera maintenu en zone tendue parce qu’on a besoin de produire du logement là où il y en a le plus besoin », assure Olivier Klein, sans en dire plus.
Vers de nouvelles règles pour le crédit immobilier ?
Le deuxième axe avancé par le gouvernement concerne le crédit immobilier. Après avoir déjà fait un geste en mensualisant le taux d’usure, Bruno Le Maire doit désormais discuter d’un assouplissement des conditions d’octroi de crédit avec le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau.
Alors que le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) impose depuis le 1er janvier 2022 un taux d’endettement de 35% pour les ménages ainsi qu’une durée de prêt ne dépassant pas 25 ans (27 ans dans certains cas), les banques peuvent aujourd’hui déroger à ces règles dans 20% des cas. Et pour le gouverneur de la Banque de France, les banques sont loin du compte puisque cette flexibilité « n’est aujourd’hui utilisée que partiellement par les banques, à 14,5% ».
Dans ce contexte, le ministre du logement fait donc un appel du pied aux banques. « Elles sont aujourd’hui prudentes, trop prudentes, fait valoir Olivier Klein. Je ne dis pas qu’il faut renvoyer les Français vers le surendettement, il faut faire attention et le parcours résidentiel n’est pas fait que par l’acquisition, il y a aussi le logement social et la location. Mais on doit dire aux banquiers qu’il y a des possibilités d’être moins prudents sur certains dossiers, d’utiliser les marges de manœuvre dont elles disposent. On dit aux banquiers qu’on a besoin d’eux. » Pour Henry Buzy-Cazaux, « dans les 20% de dérogations, il faudrait par exemple donner une part plus importante à la primo-accession. »
Le retour de la déductibilité des intérêts d’emprunt ?
Ce dernier met également en avant une autre mesure : la déductibilité des intérêts d’emprunt. « Cette mesure a déjà fait ses preuves jusqu’en 2010, juge Henry Buzy-Cazaux. Quand ils étaient extrêmement faibles, les déduire n’apportaient pas grand-chose. Aujourd’hui, cela pourrait redevenir une mesure puissante et qui vient redonner du pouvoir d’achat aux ménages. »
Un avis partagé par Grégory Monod, président du pôle habitat de la Fédération française du bâtiment (FFB) qui demande pour l’immobilier neuf « l’instauration d’un crédit d’impôt de 15% sur les cinq premières annuités d’emprunt » qui pourra « compenser l’impact » de la réglementation environnementale 2020, entrée en vigueur début 2022 et qui vise à décarboner la construction de logements.
Quelles seront les solutions retenues ? Alors que devaient être rendues mardi 9 mai 2023 les conclusions du Conseil national de la refondation (CNR) logement, la remise a été reportée « à une date ultérieure en raison d’une contrainte d’agenda indépendante de notre volonté », fait savoir l’entourage de Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Mais quelles que soient les propositions, tout ne devrait pas s’arranger du jour au lendemain. « Pour le moment, rien n’a été mis en place. Il y a une chronologie législative, donc je pense que les nouvelles mesures n’arriveront pas avant le 1er janvier 2024, regrette Henry Buzy-Cazaux. On a un problème de temporalité : celle des ménages n’est pas celle de la loi. Est-ce qu’on va pouvoir, avant la fin de l’année, améliorer l’ordinaire des ménages de manière forte sur la question du logement ? Malheureusement, je pense que non. »